J I H E E   H A N  -  A r t i s t

CV


B. 1985 in South Korea
Lives and works in Paris


Solo Shows

2022 Before the Show, Paris, Galerie Odile Ouizeman
2021 Inner Landscape, Seoul, Gallery M9
2019 Water and Earth(duo), Paris, Gallery KF
2018 Eté, mer, nuit, Paris, Galerie Vincent Lécuyer
2018 Superflux, Paris, Korean Cultural Center
2017 The Force of the instant, Paris,
CFOC
2016 Abstract Landscapes, Paris, Galerie Vincent Lécuyer
2015 Dreams and Reliefs, Paris, Gallery 89

Group Shows

2023 <여기에도, 눈>, Busan, KT&G Sangsangmadang
2023 Artiste infiniment infini, Paris, Galerie Basia Embiricos
2022 Le Retour, Seoul, Gallery M9
2022 Une autre scène de Corée, Paris, 
         Galerie Odile Ouizeman
2022 The beauty of litte thing, Seoul, Gallery M9
2022 ART PARIS ART FAIR 2022, Paris, 
         Grand Palais Ephémère
2022 Tongyeong Triennale <TAKE YOUR TIME>, 
         Tongyeong(Ko)
2021 8 Femmes Paris, Galerie89
2021 Regard du temps, Paris, CulturFoundry
2016 Paris Artistes 3rd edition, Paris, 
         Bastille Design Center
2016 Dessins, Peintures, Sculptures, Paris, 
         La Capitale Galerie
2016 Abstractions, Paris, Galerie 89
2015 Open studio, Paris, Cité Internationale des Arts
2015 BurnOUT, Bagnolet, L’amour
2015 Distribution of a collective film , Lot, 
         Rencontres-Castelfranc
2014 La voiture dans le jardin, Aulnay sous bois
2013 Jeune Création 63rd edition, Paris, Centquatre
2009 Le paroxyste indifférent, Seoul, Kookmin art Center
2008 ASYAAF, Seoul


Résidence
2015 Cité Internationale des Arts

Educations
2016 MFA in Fine Art, Paris1 University Panthéon-Sorbonne
2009 BFA  in Painting, Kookmin University, Seoul, Korea





ARTIST STATEMENT  EN / FR / KO



“Abstract landscape”,
or “landscape not yet landscaped”

The figures in my painting are something that we can recognize: mountain, waterfall, stone, etc., but in recent years, I no longer feel like I am painting natural elements such as mountains, waterfalls. water, stone. And yet, they are there too. I paint a certain movement, an atmosphere that is within them and beyond them, something that inhabits them, or that they give birth to. This comes from their color, their transparency, their material, but it is not their color, their transparency, nor their material. For me, painting is about corporealizing the mind or spiritualizing the body. I have the idea of painting what becomes landscape or what the landscape gives off, makes it be. I could say that it is the “abstract” landscape, or the “disorientated landscape” or the “not yet landscaped landscape”.

'Fluidity' and 'compactness', 'tenderness' and 'hardness', 'gravity' and 'lightness', 'free' and 'bound', 'diffusion' and 'concentration', 'clear' and 'vague', 'enormous' ' and 'weak', 'white' and 'black', 'brutality' and 'caress', 'empty' and 'full', 'transparency' and 'opacity', 'discreet' and 'apparent'. These contradictions want to coexist in my work. The solid mountain becomes liquid and gaseous, the stone becomes transparent, the water becomes matte. Then they get closer to each other before going back to their origin. The figurative had to be abstract, and conversely.




« Paysage abstrait »,
ou bien « paysage pas encore paysagé »

Les figures dans ma peinture sont quelque chose qu’on peut reconnaître : montagne, chute d’eau, pierre, etc., mais depuis quelques années, je n’ai plus l’impression de peindre des éléments naturels tels que montagnes, chutes d’eau, pierre. Et pourtant, ils y sont aussi. Je peins un certain mouvement, une atmosphère qui sont en eux et au- delà d’eux, quelque chose qui les habite, ou bien qu’ils font naître. Cela vient de leur couleur, de leur transparence, de leur matière, mais ce n’est pas leur couleur, leur transparence, ni leur matière. Pour moi, peindre c’est corporaliser l’esprit ou spiritualiser le corps. J’ai l’idée de peindre ce qui devient paysage ou bien ce que le paysage dégage, fait être. Je pourrai dire que c’est le paysage « abstrait », ou bien le « paysage dépaysé » ou le « paysage pas encore paysagé ».

‘Fluidité’ et ‘compacité’, ‘tendresse’ et ‘dureté’, ‘gravité’ et ‘légèreté’, ‘libre’ et ‘lié’, ‘diffusion’ et ‘concentration’, ‘clair’ et ‘vague’, ‘énorme’ et ‘faible’, ‘blanc’ et ‘noir’, ‘brutalité’ et ‘caresse’, ‘vide’ et ‘plein’, ‘transparence’ et ‘opacité’, ‘discret’ et ‘apparent’. Ces contradictions veulent cohabiter dans mon travail. La montagne solide se fait liquide et gazeuse, la pierre devient transparente, l’eau se fait mate. Alors elles se rapprochent les unes des autres avant de remonter à leur origine. Il fallait que le figuratif soit abstrait, et inversement.




« 추상 풍경 »
혹은 « 풍경이 아직 되지 않은 풍경 »

산, 폭포, 돌과 같은 자연의 요소들이 내 그림 속에 존재함에도 불구하고, 몇 년 전부터 나는 그들 자체를 그리고 있다고 느끼지 않는다. 그림 속에 산은 액체와 같이 흘러내리고, 투명하기도 하며, 물은 때론 불투명하고, 광택이 없이 하나의 덩어리처럼 존재하며, 대상들 간의 경계가 뒤섞이기도 하고, 또 때론 칼로 자른 듯 분명하다. 낮과 밤이 뒤섞이기도 하고, 원근법이 완전히 무시될때도, 혹은 표현되기도 한다. 나는 대상들을 그린다기 보다, 그 대상들 간의 조화, 움직임, 그들에게 내재되어 있는 기운, 혹은 그 기운 안에 있는 어떤 것, 그 기운을 탄생하게 하는 어떤 것을 그리는 것 같다.  그것들은 그들의 색, 투명성, 물질성에서 오는 것이나, 그것은 그들의 색, 투명성, 물질성은 아니다. 나는 풍경이 되는 것, 풍경이 주는 것, 풍경이 되게 하는 것들을 그리지만, 그것은 정확히 풍경은 아니다. 아마도 «해체된 풍경», 혹은 «풍경이 아직 되지 않은 풍경» 이라고도 할 수 있을 것 같다. 이것이 풍경 속에서 내가 표현하고 싶은 «추상»이라 하겠다.

‘유동성’과 ‘부동성’, ‘부드러움’과 ‘단단함’, ‘무거움’과 ‘가벼움’, ‘자유로움’ 과 ‘엮어 있음’,  ‘분산’과 ‘집중’, ‘보이는 것’과 ‘보이지 않는 것’, ‘분명함’과 ‘불분명함’, ‘거대함’과 ‘연약함’, ‘일상성’과 ‘비일상성’, ‘흰색’과 ‘검은색’, ‘거침’과 ‘애무’, ‘비어있음’과 ‘가득참’, ‘변화’와 ‘지속’, ‘투명성’과 ‘불투명성’, ‘비밀스러운’과 ‘드러난’ ‘역사적 의미를 갖는’과 ‘무의미’ 등 나는 대립하는 것으로 쉽게 구분짓는 여러 특성들 사이에, 혹은 어느 한쪽을 선택하지 않은 채, 구분하지 않는 표현 방식, 물질 성을 추구하고 있다. 정의내리지 않은 상태, 명쾌하게 맞닿아 있지 않은 불분명한 상태를 지각하고 표현하는 것이 내가 궁극적으로 작업을 통해 하고 싶은 것이다. 언어에 의해, 혹은 구조적으로 구분되는 상반된 두 상태들이 실재로 단순히 구분지을 수 있는 것인가를 스스로에게 지속적으로 질문하며, 실재의 대상, 현상들은 이러한 구분이 불가능한 상태에 있다고 생각한다. 나에게 그림을 그리는 데 있어서 가장 중요한 점은, 언어의 구조 속에서 정의 내리기 힘든 감정, 정신이 그림 속에 보여지는 대상을 통해 물질화, 시각화 되는 과정이다.





TEXTS (FR)



Han Jihee, la lapidaire

« Je collectionne des images, dans ma tête. Avant de travailler je dois faire le vide. L’approche de la toile passe par la concentration. Si je le rempli, je ne suis pas à mon aise. J’aime la couleur, mais elle trahit mes intentions. J’ai déjà peint des portraits. Ils me font face. Ils prennent trop de place, ils ne respectent pas la distance dont j’ai besoin quand je peints.
La grande motivation de mon travail c’est la solitude.»

Han Jihee recule pour mieux sauter. Seuls les paysages stimulent la distanciation mentale et physique dont elle a besoin. Les feuilles, les arbres, les personnages, les perspectives sont absents dans ses œuvres. Trop anecdotiques, trop narratifs pour qu’elle y croit.
Dans ses images, les traits comme des gemmes taillées, les couches transparentes de peinture comme des fluides, provoquent le mouvement. Son travail serré laisse l’espace à l’espace. Ses toiles respirent comme des poumons.
Tel un lapidaire, elle taille, elle élimine le superflu. Cézanne voulait contenir la montagne sainte Victoire sur la toile. L’artiste coréenne envisage sa montagne de mémoire, privilégiant à son tour la peinture et ses valeurs.
Elle en retient le jeu subtil se profilant dans la nature comme dans la peinture, la dualité orientale du Ying et du Yang. Le tactile et le fluide, l’opacité et la transparence, le noir et le blanc se cherchent à travers une sensualité raffinée. Un peu de bleu donne du relief et fait vibrer les images. Rebelle, une goute s’échappe du pinceau: « La peinture doit rester peinture c’est à dire rythme. » En peinture comme dans la vie, tout ne doit pas être maîtrisé.
L’artiste cultive l’hygiène du propos et la délicatesse dans la simplicité. La souplesse de l’exécution et la pureté de l’image n’excluent pas cette rage et cette force que l’on aperçoit dans son geste. Donner à voir passe par la révolte ; elle déchire les bords de ses œuvres comme pour mieux cerner la précieuse création. « La technique peut aussi donner des émotions. »
Ileana Cornea



Jihee Han : Chuchotements de la monochromie

Jihee Han, peintre coréenne vivant à Paris, enchante par son calme. Tant par son regard que par son œuvre. Dans ses peintures délicates, on peut voir des montagnes enneigées, des cascades, des paysages de l’immensité du ciel et de la terre, des vibrations de l’océan. L’artiste transfère habilement les motifs de la nature et les fragments de souvenirs sur la toile, la transformant en univers mystérieux. Actuellement, l’artiste, dépassant sa zone de confort, est devenue live dans les espaces de la galerie parisienne « Galerie Odile Ouizeman », afin que chacun puisse observer les étapes de la création de ses oeuvres jusqu’au 29 octobre.

Jihee, ça fait longtemps que je pense à t’interviewer. Quand j’ai vu vos oeuvres pour la première fois, je me suis demandé – d’où vient la paix et l’harmonie en elles, alors que vous vivez dans un quartier si animé de Montmartre. Parlez-nous un peu de vous – où vous êtes né, où vous avez grandi, ce que vous avez étudié.

Je suis née à Busan et j’ai grandi à Séoul en Corée du sud. Et je me suis installée en France après mon licence en 2010. J’ai fait mes études «Art plastique» et obtenu le diplôme «Peinture» à Séoul. Quand j’étais étudiante, jusqu’à la troisième année j’ai essayé de prendre maximum des cours variés, dessin, gravure, sculpture, photographie et vidéo, peinture traditionnelle coréenne, peinture contemporain, histoire de l’art, philosophie contemporain, histoire de cinéma…etc., et à la quatrième année j’ai décidé de approfondir à la peinture. Et quelques années plus tard j’ai fait le master à la Sorbonne «Art de l’image et du vivant».

Pourquoi as-tu choisi la peinture quand même ? Qu’est-ce qui vous a le plus attiré dans ce média parmi tous les domaines que vous avez essayés ?

J’aime simplement métriser des pinceaux et composer des images dans une scène. Et aussi j’aime le langage pictual qui permet une distance avec la réalité, pas très direct. C’est-à-dire la peinture me permet une espace de l’imagination à mon intérieur.

Qu’est-ce qui t’inspire créativement?

Visuellement j’ai beaucoup nourri par des voyages. Depuis petite j’aime observer le courant de l’eau, le mouvement des nuages, le changement des couleurs du ciel…etc. Mais ce n’est pas que la nature qui m’inspire. Je pourrai dire que cela vient de ma vie, de tous mes expériences. L’amitié, des gens que je rencontre, la musique classique, l’espace où je travaille, la mort, des voyages…etc., tous est relatif.

Les artistes dans leur vie créative ont parfois des sommités, des professeurs indirects, des personnalités qu’ils admirent et suivent. Les avez-vous aussi ?

Ça change chaque période… à une époque c’était l’écrivain comme Pascal Quignard et à une autre époque c’était un peintre comme Mark
Rothko et Jean Dégottex. Et maintenant Franz Liszt. J’écoute que « Douze études d’exécution transcendante » depuis des mois.

Comment se passe ton processus de création ? Comment te prépares-tu à commencer une nouvelle œuvre, et quand sais-tu que la pièce est terminée ?

Pour commencer une nouvelle œuvre j’attends ‘un bon moment’ pour peindre. Je passe beaucoup du temps pour attendre à mon atelier. ‘Un bon moment’, cela peut être très abstrait pour expliquer. Je dois avoir la tête claire, en forme physiquement et l’esprit tendu mais en même temps une sérénité de mon intérieur. Pour commencer une nouvelle œuvre, je n’ai pas besoin d’une image intégralement dans ma tête, ni besoin de chercher une idée ou l’inspiration. Je sais qu’ils existent déjà en moi et que je dois les faire sortir. Donc plutôt je fais du yoga ou écouter la musique pour arriver à ‘un bon moment’. Après quand ça commence, c’est très rapide. Je n’arrête pas prendre des décisions pour avancer une toile jusqu’à la fin. Pour le moment de terminer une œuvre, je ne peux pas expliquer comment je sais. Mais je sais. Peut-être quand je n’ai plus de doute.

Lorsque j’ai visité votre atelier avec le groupe de collectionneurs d’art parisien « Cultur Foundry » et que j’ai vu vos peintures, je les ai trouvées exceptionnellement fraîches, pleines de minimalisme scandinave et remplies d’esthétique nordique. Comment décrirais-tu tes peintures monochromes par rapport au paysage pictural français?

Depuis longtemps j’apprends vider ou simplifier des idées ou ma vie. Et j’essaie de faire le paysage qui est bien cohérent avec moi. Pour peindre, je ne réfléchis pas forcément pour ajouter quelque chose. Plutôt créer un rythme avec des minimum des éléments. C’est pour ça il y a le modeste dans mes palettes et souvent l’espace comme le vide (pas vide mais pas précisée). Alors quand je dois prendre une décision pour avancer une toile, j’évite souvent des premières idées qui m’arrivent et essaie d’éliminer maximum des choix. J’ai mal à généraliser sur le paysage pictural français mais c’est vrai qu’on voit pas mal des paysages colorés avec des figures depuis quelques années. Dans ce sens-là, peut-être c’est mieux comparer ma peinture avec la peinture abstrait. Parce que je peins le paysage mais c’est le paysage mental, je peins des rochers, l’eau, des branches et le ciel mais ce que je veux exprimer est l’énergie qui habite en eux, ce n’est pas exactement leurs figures qui m’intéressent.

Comment as-tu réussi à apprivoiser Paris ? Les cultures coréenne et française sont très différentes. Comment as-tu réussi à combiner ces différences ?

C’est vrai que les cultures coréenne et française sont très différentes, on pourra dire qu’il est presque opposé dans un certain sens. La Corée, c’est un pays qui a une vraie énergie pour avancer et qu’on est sensible et fort pour le changement. Par contre chez les français je trouve qu’il existe la tradition et la modernité ensemble dans la culture. Depuis mon adolescence je suis influencée par les cultures française comme la littérature et le cinéma. Donc j’ai mis pas mal du temps pour discuter vraiment avec les français à cause de niveau de la langue, mais je suis arrivée plutôt naturellement à un bon équilibre entre les deux avec du temps. J’essaie de prendre des avantages de chaque pays.

Tu te sens heureuse à Paris en tant qu’artiste et en tant que personne ?

Je suis à Paris depuis plus de 10ans et j’ai commencé à travailler ici donc je suis plus à l’aise. J’ai l’impression que je peut être comme je suis. J’aime la façon de communiquer et de partager des français.

Actuellement, ton studio a déménagé dans un espace public – la Galerie Odile Ouizeman. Comment décrirais-tu le sentiment d’avoir des étrangers qui regardent ton processus créatif?

Les premier et dixième jours ont été un peu étranges. Je n’avais pas une concentration totale. Mais j’ai réalisé que dans cette situation je dois accepter et compter sur une autre énergie, pas celle intérieure que je nourris tant dans mon environnement proche. C’est vraiment un travail non seulement avec la toile, mais aussi avec mon intérieur. Des enfants s’arrêtent de temps en temps dans la rue pour me regarder par la fenêtre, je vois sans cesse des voisins passer… Des visiteurs s’approchent de moi, certains passent périodiquement pour voir comment se déroule le processus de peinture et comment le travail évolue. Je vois que les gens s’y intéressent vraiment. Sentant le soutien des passants, je sens que moi aussi je commence à m’intéresser à m’adapter à cette nouvelle situation. Et au final, la prise de conscience que cela ne m’empêche pas nécessairement d’avancer avec la peinture m’inspire à aller de l’avant.

L’interview originale a été publiée dans le magazine lituanien « Literatūra ir menas »
Julija Dailidėnaitė Palmeirao




L’expérience des « Montagnes et eaux »

Dans cette série de peintures que présente Han Jihee, c’est le paysage qui est exploré. Un monde silencieux fait de mers et de montagnes battues par les vents ou figées dans la glace. A l’intérieur de cette variation sur un même thème des dualités sont perceptibles. D’une toile à l’autre, le sujet est formellement en tension entre l’abstraction et le réalisme. De la densité d’un glacier à la fluidité de l’eau, le paysage est soumis à des forces contraires. L’artiste pose un regard sur le paysage qui ne sert pas à représenter une réalité mais à mettre en place un monde en soi. A travers ces toiles on retrouve des références à la grande peinture de paysage romantique, on pense à La mer de glace de Caspar David Friedrich mais aussi à des apports plus orientaux dans la composition et les intentions.

Si les toiles de Han Jihee représentent la mer ou des glaciers, elles n’imitent pourtant pas la nature. Il ne s’agit pas de cette «nature naturée» dont parle Spinoza, comme une reproduction du réel, mais plutôt celle qu’il décrit comme une «nature naturante», c’est-à- -dire, cette nature est en soi, qui suggère un tout, qui est une force de vie comme le philosophe le rappelle dans cette citation.

«Je veux expliquer ici, ou plutôt faire remarquer ce qu’il faut entendre par Nature naturante et Nature naturée. Car déjà par ce qui précède j’estime qu’il est établi que, par Nature naturante, il faut entendre ce qui est en soi et est conçu par soi, autrement dit les attributs de la substance qui expriment une essence éternelle et infinie, c’est-à-dire Dieu, en tant qu’il est considéré comme cause libre ? Par Nature naturée, j’entends tout ce qui suit de la nécessité de la nature de Dieu, autrement dit de la nécessité de chacun des attributs de Dieu, c’est-à-dire tous les mondes des attributs de Dieu en tant qu’ils sont considérés comme des choses qui sont en Dieu, et qui ne peuvent ni être, ni être conçues sans Dieu»

Lorsque l’on est face à ces peintures, il y a comme un passage qui s’opère d’une intériorité à l’autre, celle de l’artiste qui parle à celle du regardeur. A travers ce lien intime qui se noue, celui qui regarde ressent face à ces paysages, la solitude de l’artiste qui est une solitude désirée, comme un exercice spirituel et vécue comme un approfondissement de soi.

Si l’on observe chacune des compositions, l’absence de perspective et la frontalité invitent à embrasser la totalité de la toile du regard.

A l’étude d’un tableau comme «Landscape on Withe 2» on découvre une genèse qui se met en place sur la toile. Les éléments, l’eau, l’aire, la pierre se juxtaposent et les plans se superposent dans la composition pour former le vocabulaire d’un paysage dans sa pure essence. Cette radicalité des éléments peint sur la toile va à l’essentiel et produit des allers et retours entre le réel et l’abstraction.

Pour ses tableaux, l’artiste choisit soigneusement la qualité de ses toiles, sa palette se limite à trois couleurs des nuances de blanc, de noir et du bleu. Avec cette colorimétrie minimaliste, HAN Jihee travaille la richesse de son médium tantôt épais ou fluide, tantôt mat ou brillant avec parfois une volonté de réduire sa peinture à sa seule matérialité. A ses préparations toutes en transparence, elle ajoute souvent des pigments noirs pour donner un effet vibrant à sa peinture. Sur la toile, sa touche en larges coups de brosse donne une dynamique à ses compositions. Dans certaines toiles, l’emploi du blanc ouvre l’espace au-delà du cadre alors que pour d’autres le sujet est plus contenu.

A la différence de la tradition picturale européenne, on retrouve dans les peintures de Han Jihee certains aspects qui envoient vers le paysage pictural chinois, qualifié de «montagnes et eaux» (chanchui). Il constitue un tout cosmique, composé de la paire montagne et eau. Le principe yang de la verticalité pour la montagne et le principe yin de l’horizontalité pour l’eau. Ce paysage n’est pas l’ouvre de la nature mais le résultat d’une interaction d’un regard porté sur le monde. Les œuvres de Han Jihee, au-delà du sujet représenté, interprètent la nature, lui donnent un sens et une dimension symbolique. Comme dans l’art de dresser les pierres, les montagnes ou icebergs sont disposée avec précision sur la toile et jouent ce rôle symbolique d’abri des esprits.

Dans l’œuvre de l’artiste, les apports des différentes traditions se côtoient et proposent un regard nouveau sur le paysage. Ce que l’on perçoit à travers les peintures de Han Jihee, c’est que les transmutations perpétuelles des forces de la nature qui s’expriment sur la toile, sont peut-être aussi celles qui animent l’être spirituel.

Dominique Pineau




La Force de l'Instant

Entre voyage pictural et exploration des états de l’eau, les œuvres de Jihee Han se situent entre la figuration du paysage naturel et l’abstraction. Une mer calme, un iceberg en suspension, des monts enneigés ou des chutes d’eau cohabitent au fil des coups de pinceaux. La palette chromatique de cette jeune artiste coréenne nous plonge dans un calme apaisant suspendu dans le temps. Elle nous emmène de l’altitude 0 de l’océan aux nuages qu’atteignent les sommets montagneux. Cette escalade depuis l’état liquide jusqu’à l’état solide est aussi une quête spirituelle mêlant la dualité du Ying et du Yang. Solidité et rigidité, noir et blanc, vide et plein, sont des contradictions par lesquelles la peintre cherche à marier l’esprit et le corps. « Le plus dur à peindre, c’est le spirituel qui devient matérialité » nous dit-elle lorsqu’elle définit ses « paysages abstraits ». Jihee Han maîtrise à la perfection la légèreté des traits qui traduisent le mouvement des éléments. La présence et le geste spontané de l’artiste sont palpables et laissent progressivement place à des compositions qui apaisent nos sens. Un roc ou une banquise se décrochent de la composition, alors portés de manière éblouissante par le vide laissé par l’artiste. La force de suggestion créée par le blanc permet à notre esprit de se libérer, de voyager et d’explorer ces contrées proches de l’abstraction dans lesquelles l’homme est dépassé et dépossédé. Si la palette de Jihee Han nous semble limitée au premier regard, elle est pourtant une aventure de couleurs, de tons, du bleu au gris, qui nous laisse le temps de respirer et de rêver.
La méditation est en effet le point de départ de toute œuvre de Jihee Han, qui commence par faire le vide avant de prendre de tendre sa toile sur le châssis. Pas d’esquisse préliminaire, mais une image mentale se forme à partir de ses souvenirs de voyage et de son quotidien. A la manière des œuvres lumière de Turner ou des nymphéas de Monet, les formes de la nature de ces peintures disparaissent dans le trouble de la perception.

Joséphine Dupuy Chavanat


 
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